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"Air" raconte comment Nike, en 1984, a séduit le jeune Michael Jordan, qui préfère Adidas. Son réalisateur Ben Affleck raconte sa première paire de Jordan, son amour pour les équipes de Boston et révèle pourquoi il a refusé de porter une casquette des New York Yankees.
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Ben Affleck arrive très en retard et de très bonne humeur pour la séance photo express organisée dans un palace local à Beverly Hills. Le deuxième rendez-vous d'une journée de promotion chargée pour son cinquième film en tant que réalisateur, Air, récit réussi de la quête de Nike pour séduire Michael Jordan, qui préférait Adidas, avec dialogues plein d'esprit, bande-son des années 1980 et acteurs première classe (Matt Damon, Viola Davis, Jason Bateman, Chris Tucker et Ben Affleck lui-même dans le rôle de Phil Knight, le fondateur de la marque).

Le film "Air" est disponible en France depuis le 12 mai sur la plateforme Prime Video.

Quelques décorations et accessoires célébrant les équipes professionnelles de sa ville natale, Boston, l'attendent dans la suite. Ben Affleck salue l'effort et apprécie particulièrement une veste des Celtics qu'il aurait bien gardée avec lui en repartant. Puisqu'il parle à des Français, il évoque Victor Wembanyama. "Vous avez un futur numéro 1 de la draft avec lui. Il peut devenir un meilleur Kevin Durant", suggère-t-il avant de déclarer son amour pour Paris et de s'essayer à quelques mots, y compris des gros, dans la langue de Molière.

On retrouve le scénariste oscarisé pour Will Hunting deux semaines plus tard sur Zoom pour discuter du film et de son rapport au sport, passion commune à de nombreux acteurs de Boston. D'ailleurs, Artists Equity, la société de production qu'il a fondée avec son meilleur ami Matt Damon, annonce déjà un film sur Anthony Robles, un lutteur né avec une seule jambe qui a gagné le Championnat universitaire (des moins de 57 kilos en 2011), "une très belle histoire".

Vous aviez 12 ans quand Michael Jordan a été drafté en 1984. Quel souvenir en gardez-vous ?
J'étais fan de l'équipe de ma ville, les Boston Celtics, et ils ont gagné le Championnat cette année-là. Je suivais aussi Patrick Ewing, qui était une star à Georgetown et qui avait joué la finale NCAA contre Michael Jordan quand North Carolina a gagné le Final Four en 1982. Ewing avait fréquenté mon lycée et il vivait en bas de ma rue. C'était un héros local. Donc j'ai vu Jordan marquer le tir de la victoire à cause de lui. Mais j'étais un gamin et je n'avais aucun moyen de discerner qui serait un joueur spécial ou non. Je ne saurais pas vous dire le moment où j'ai compris à quel point il était immense, c'est devenu évident sur plusieurs années.

Et vous portiez quelles baskets à l'époque ?
J'ai demandé à ma mère quelques-uns de ses albums photo et j'ai trouvé une image de mon frère et moi, fin 1985-début 1986, qui portions des Jordan. Mais avant cela - et je l'ai mis dans le film -, je me souvenais de la popularité d'Adidas. Les gamins qui voulaient devenir breakdancers ou rappeurs étaient attirés par la marque et ses survêtements. Nike était perçu comme une marque pour quadragénaires, un truc d'hippies de la Côte ouest, une société avec du succès mais dans la course à pied, pas le basketball. Et je me rappelle aussi de la transition vers Nike. Je me souviens distinctement qu'Adidas a arrêté d'être cool et Nike a commencé à le devenir pour les adolescents dans les grandes villes d'Amérique.

Comment ?
J'allais dans une école où la moitié des élèves étaient des Afro-Américains. Ils étaient les garçons à qui vous vouliez ressembler. C'était une sorte de microcosme pour la façon dont la culture, le style ou la musique marchent en Amérique, souvent initiés par des Afro-Américains, le plus souvent en milieu urbain, avant de devenir grand public. Aujourd'hui, le rap fait partie de la pop music, par exemple. C'est différent de l'époque d'Elvis Presley où des artistes noirs créaient de la musique, Elvis la reproduisait et c'est lui qui avait du succès. La contribution des Noirs à la culture américaine, dans la musique, la mode, est plus reconnue qu'il y a cinquante ans. Je me souviens que lorsque les gamins afro-américains du quartier portaient une tenue particulière ou suivaient une certaine équipe professionnelle, c'est ce qui devenait le truc cool pour tout le monde. J'en ai parlé avec ma femme (Jennifer Lopez) qui a grandi dans une grande ville elle aussi, et qui connaît très bien la mode, la musique et la culture. Elle a confirmé mon expérience.

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"Air" parle finalement davantage de la culture américaine que de sport...
Je dirais que la culture est notre exportation la plus importante aujourd'hui. On ne fabrique plus rien aux États-Unis. Et l'influence de la culture afro-américaine aux US a grandi. Deloris Jordan (la mère de Michael Jordan incarnée par Viola Davis) représente une génération qui a dit qu'elle méritait d'être récompensée pour sa contribution à la culture. Le film a parfois été décrié comme une célébration du capitalisme et je crois que c'est une vision délibérément étroite. C'est plutôt une célébration de ceux qui ont été marginalisés et traités injustement dans les paramètres du capitalisme, dans ce cas précis à cause du racisme.

"Par procuration, le supporter se sent vainqueur quand son équipe gagne. Dans ce sens, le sport est plus puissant que le cinéma..."

En se concentrant sur Nike, "Air" n'aborde pas le sport ou la vie de Michael Jordan de façon frontale. Vous pensez que le cinéma peut créer les mêmes émotions que le sport ?
Le cinéma, à son meilleur, émeut les gens et nous permet de projeter nos propres vies à travers le prisme du film que l'on regarde, à condition de créer des connexions avec les personnages. Le sport est aussi très puissant. Mais c'est un effet différent, ancré dans l'idée de succès. Je ne connais pas personnellement de basketteur. J'imagine que la majorité des Français n'ont pas non plus des connexions personnelles avec les footballeurs qu'ils idolâtrent et, pourtant, les gens ressentent une connexion incroyable avec les équipes qu'ils soutiennent. Ces équipes signifient quelque chose pour nous. Mais pas parce qu'on connaît les joueurs. La plupart du temps, ils ne sont même pas originaires de la ville pour laquelle ils jouent. Ils n'y ont pas grandi. C'est différent lors de la Coupe du monde parce que les joueurs sont français par exemple, mais, dans les ligues professionnelles, ils représentent souvent un lieu dont ils ne viennent pas. Et, par procuration, le supporter se sent vainqueur quand ils gagnent. Dans ce sens, le sport est plus puissant que le cinéma. Mais les films font un travail plus intéressant, plus nuancé, plus complexe, entre le roman et le sport, sur les émotions, au-delà de gagner ou perdre, la base binaire du sport.

Le film est coproduit par Peter Guber, propriétaire des Golden State Warriors. Vous avez tourné quelques semaines après le titre de Golden State gagné contre vos Celtics lors de la finale 2022 (4-2). Tout s'est bien passé avec lui ?
C'est un type adorable ! On a grandi dans le même coin à Boston. Il a toujours l'accent, d'ailleurs. Cela m'a surpris. Je pensais que l'accent aurait disparu depuis longtemps, remplacé par le ton sophistiqué d'un riche producteur de Los Angeles, propriétaire d'une franchise. Mais voilà ce que je peux vous dire sur Peter : mon fils idolâtre Stephen Curry. Il l'obsède. C'est dur de trouver les mots pour décrire à quel point. Peter nous a donné des billets pour un match et a demandé à Steph de signer un maillot. Je crois que c'est le cadeau le plus important que l'on ne nous ait jamais fait. Je lui en serai reconnaissant à jamais. Peter nous a beaucoup aidés également pour obtenir des accès en NBA pour le film. Ce n'est pas un hasard si c'est lui qui acheté l'idée originale à l'auteur puis l'a vendue à Skydance Media (une société de production) qui nous a ensuite présenté le projet.

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Et cela vous intéresserait d'avoir des parts dans une franchise comme Peter Guber, Will Ferrell (LAFC) ou Matthew McConaughey (Austin FC) ?
J'en ai eu l'occasion. On avait proposé à Matt (Damon) et moi-même de devenir de petits actionnaires d'une équipe à laquelle je tiens énormément. Je pourrais prétendre que j'ai refusé l'offre mais ça ne s'est pas fait surtout parce que ça demandait un peu plus d'argent que nous en avions et que nous ne pouvions pas nous le permettre ! J'ai travaillé avec le réalisateur John Frankenheimer il y a longtemps (Piège fatal, 2000) et il m'a raconté que, gamin, à New York, il vénérait Joe DiMaggio (une légende du baseball et des Yankees). Il l'a rencontré plus tard, quand DiMaggio tournait une publicité pour du café sur un plateau à côté du sien. Je lui ai demandé ce que ça lui avait fait. Il m'a répondu qu'il en avait tiré une bonne leçon : ne jamais rencontrer ses héros ! (Sourire.) Je me demande aussi à quel point posséder une équipe avec laquelle vous avez une connexion émotionnelle pourrait briser le fantasme, ou le rendre plus ordinaire, plus banal, plus réel. Et puis, par expérience, je me dis que si l'équipe perd, la presse dira sûrement que c'est de ma faute !

"Je ferais n'importe quoi pour David Fincher. À part, peut-être, porter une casquette des Yankees !"

Le réalisateur David Fincher raconte que le tournage de "Gone Girl" (2014) a été arrêté plusieurs jours parce que vous refusiez de porter une casquette des New York Yankees (ennemis historiques des Boston Red Sox) avant de trouver un compromis avec une casquette des New York Mets. C'est vrai ?
David est un fieffé menteur avec un grand sens de l'exagération, en particulier quand il a l'occasion de m'embêter. Il aime rendre cette anecdote toujours plus absurde pour voir si la presse publiera sans esprit critique une histoire totalement folle. L'idée qu'on arrêterait le tournage pendant une semaine parce que j'ai refusé de porter une casquette des Yankees est délirante ! Il y a une scène où mon personnage achète une casquette à l'aéroport et David voulait que ce soit une casquette des Yankees. J'ai dit que je ne pensais pas que c'était une bonne idée. La vérité, c'est que non seulement je ne voulais pas porter la casquette du rival de l'équipe de mon enfance mais aussi que l'image aurait pu détourner l'attention du spectateur parce que, dans l'inconscient populaire, je suis associé aux Red Sox. Je l'ai expliqué à David. La conversation a probablement duré vingt minutes. Je suis très ami avec David. Je l'adore. C'est un réalisateur brillant. Travailler avec lui restera l'une des meilleures expériences de ma vie. Je ferais n'importe quoi pour lui. À part, peut-être, porter une casquette des Yankees ! Tout cela l'a amusé. Il me considérait comme une personne raisonnable et, au départ, il a cru à un caprice d'acteur qu'il n'avait pas vu venir. Mais, une fois que j'ai expliqué pourquoi c'était sans doute mieux pour le film, plutôt qu'évoquer mes sentiments, il a compris. Donc, non, il n'y a pas eu de retard sur le tournage. Mais je ne devrais peut-être pas détruire le mythe. Parfois, il ne faut pas laisser la vérité se mettre sur la route d'une bonne histoire.

Quel est votre meilleur souvenir de supporter ?
En 2004, quand les Red Sox ont remporté les World Series. Ils n'avaient pas gagné depuis près d'un siècle (1918). On croyait qu'ils étaient maudits ! Ils avaient perdu l'année d'avant (contre les Yankees, l'ennemi juré, 4-3 en finale de l'American League) et quand j'étais gamin en 1986 (défaite lors des World Series face aux New York Mets). C'était déchirant. Alors, 2004, c'est probablement le moment le plus intense pour moi. Ça voulait vraiment dire quelque chose que les Red Sox réussissent à gagner parce que c'était comme si Dieu elle-même (sic) empêchait que cela arrive. Et j'avais fini par intérioriser cette croyance. Je me rappelle que j'étais effondré quand ils ont perdu en 2003. En 2004, du coup, je me suis vraiment autorisé un niveau inapproprié de satisfaction après avoir gagné un match de baseball auquel je n'avais pas participé ! Mais je connaissais des gars dans l'équipe.

À l'époque, j'étais devenu un acteur célèbre et célèbre aussi pour aimer les Red Sox. Je connaissais les propriétaires et j'ai pu rencontrer les joueurs. C'était une expérience formidable. En 2007, j'ai tourné mon premier film, Gone Baby Gone, pendant l'été. J'étais stressé, tellement inquiet que le film ne marche pas. Je travaillais très dur. C'était un stress permanent mais je me rappelle de la joie que j'avais à regarder chaque jour les matches des Red Sox, en particulier Manny Ramirez et David Ortiz, qui ont dû frapper 80 home runs à eux deux cette saison-là. Je les ai intégrés dans les remerciements à la fin du générique parce que les voir gagner des matches m'a aidé. C'était sans doute mes seuls moments de paix dans le stress de mon premier film (les Red Sox ont gagné les World Series contre les Colorado Rockies à la fin de la saison).

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Les Celtics sont qualifiés en play-offs. Vous croyez au titre ?
Ils sont bons cette année ! Je les ai vus à Los Angeles plus tôt dans la saison. Je suis optimiste. Mais, quand j'étais enfant à Boston, les équipes professionnelles de la ville étaient mauvaises. Les Patriots étaient affreux. Les Celtics aussi, à la fin des années 1970. Les Red Sox perdaient tout le temps. On était une sorte de challenger perpétuel qui n'arrivait jamais à gagner. Être un fan de sport m'a appris à faire face à l'adversité et à accepter le fait qu'on ne gagnerait peut-être jamais et qu'il y avait une forme de noblesse, de grâce, là-dedans. Et puis, toutes les équipes ont décollé en même temps. Elles étaient toutes en finale en 1986 (les Celtics ont gagné le titre NBA, les Patriots ont perdu le Super Bowl, les Red Sox ont perdu les World Series contre les New York Mets). Mais toutes ces années difficiles m'ont appris à ne jamais trop verser dans l'optimisme parce que la déception guette. Alors, j'essaie d'avoir une approche réaliste, un peu méfiante peut-être. J'adorerais que les Celtics soient champions évidemment mais je ne veux pas être trop confiant.

Tom Brady (quarterback de New England de 2000 à 2019) a pris sa retraite sportive. Vous vous connaissez bien. Quand allez-vous l'engager dans l'un de vos films ?
Dès qu'il me dit qu'il est partant ! Il a déjà eu du succès avec un film dans lequel il ne joue pas, Tom Brady à tout prix (sorti en début d'année). Son histoire est formidable. Ce serait forcément intéressant de raconter l'expérience d'un gars drafté aux alentours de la 180e position qui n'était pas sûr d'avoir une carrière, qui a débuté comme doublure de Drew Bledsoe, est devenu titulaire en play-offs quand Bledsoe s'est blessé, a gagné le Super Bowl, puis plus de Super Bowl que n'importe quel autre joueur et qui va rester comme le meilleur quarterback de tous les temps. C'est une sacrée bonne histoire !

"Michael Jordan était un compétiteur féroce. Son acharnement, son besoin compulsif de gagner, ou ce qui à l'intérieur le pousse à vouloir dominer, ne doit pas être facile à porter"

On se demande bien qui pourrait la filmer...
J'adorerais. Mais j'ai appris dans ma carrière qu'il fallait trouver la bonne approche pour une histoire. La vie des gens ne se raconte pas toujours facilement dans un film de deux heures. Je crois que l'un des dons de Tom, si vous étudiez son cerveau, ce qui en fait un géant à mon avis, c'est qu'à deux minutes de la fin d'un Super Bowl, quand le monde entier est tendu et anxieux, ce qui peut vous inhiber, lui donnait l'impression d'être relâché. Un peu comme le gars de Free Solo (Alex Honnold, Oscar du meilleur documentaire en 2019). Il n'a pas peur et c'est pour cela qu'il peut escalader ces gigantesques murs de pierre sans craindre pour sa vie. Ce qui fait de Brady un être à part, c'est ce calme intérieur et cette certitude que tout va bien se passer.

Un peu comme Michael Jordan, non ?
Michael Jordan était un compétiteur encore plus féroce. Son acharnement, son besoin compulsif de gagner, ou ce qui à l'intérieur le pousse à vouloir dominer, ne doit pas être facile à porter. Je voulais y faire allusion dans le film. Quand sa mère anticipe qu'il sera non seulement bon mais qu'elle perçoit aussi le fardeau que cela peut représenter.

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Vous n'avez pas voulu le montrer directement dans "Air". Selon vous, il est tellement iconique que n'importe acteur dans son rôle ferait sortir le spectateur du film. Comment s'est donc passée votre rencontre ?
Vous sentez quelque chose juste en vous asseyant avec lui. Il est intimidant. Pas parce qu'il est grand et fort ou qu'il fait peur. C'est une présence, que vous ressentez et que tout le monde expérimente, je crois. Oui, ça vient en partie du fait que vous êtes face à un athlète unique avec tous les souvenirs qui l'accompagnent. Quand Michael Jordan parle, il n'y a pas de compromis possible. Quand il m'a dit que Viola Davis devait jouer sa mère, c'était très en phase avec qui il est, quelqu'un qui n'attend que le meilleur. "Qui va jouer ma mère ? La plus grande actrice du monde. Question suivante." (Rires.) Quand vous voyez le monde comme cela, tout est plus simple. "Que va-t-on faire ? On va gagner et battre tout le monde et être les plus grands. Ah, OK. J'imagine que c'est la marche à suivre alors." (Rires.)

Vous avez joué des quarterbacks au début de votre carrière. Vous avez incarné un entraîneur de basket récemment dans "The Way Back". Mais vous dites que vous n'êtes pas un très bon athlète...
Disons que je suis un sportif assez bon pour savoir ce qu'est un très bon sportif. Je me souviens très bien du moment où j'ai réalisé que je n'allais pas devenir sportif professionnel. Si je ne suis pas le meilleur basketteur dans cette équipe de dix gars, je ne vais pas probablement pas devenir professionnel ! Beaucoup de jeunes gens nourrissent ce rêve, en grandissant comme fan de sport. C'est naturel. Les sportifs sont magnifiques, leur métier est spectaculaire. Mais après, il faut vivre avec le fait que vous n'êtes peut-être pas assez doué.

C'est un peu comme Mozart avec Salieri, que j'ai toujours trouvé beau et tragique. Il est assez brillant pour comprendre que Mozart est infiniment plus doué. Alors je ne suis pas le deuxième meilleur joueur de basket au monde, très loin de là, mais assez pour savoir que ce n'était pas au programme pour moi. Et je vois des gamins vraiment spéciaux qui eux-mêmes n'y arrivent pas toujours. Le sport de haut niveau est tellement compétitif. Il y a quelque chose de tragique aux racines du sport. Parce qu'il suscite des rêves mais les coeurs brisés sont plus nombreux que les rêves devenus réalité. Le sport vous met face à ce que vous avez dans le ventre. Si vous voulez progresser, il faudra beaucoup de travail et de détermination. Certains l'ont, d'autres se disent : "OK, je ne veux pas investir autant pour m'améliorer." Je trouve que c'est une bonne métaphore pour les réalités de la vie.

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Contrairement à beaucoup d'acteurs, vous ne jouez pas au golf. Vous l'avez comparé au crack à cause de l'addiction qu'il suscite.
Je choisis délibérément de ne pas en faire. Parce que je l'ai vu dévorer la vie d'amis à moi, que je n'ai jamais revus. Ils me disent qu'ils partent jouer pour le week-end et je ne les croise plus pendant trente ans. Je joue au basket avec mon fils maintenant. Et je me rappelle le jour où Matt Damon a battu son père pour la première fois dans un match de basket. C'est le sport qu'on pratiquait le plus ensemble, enfants. Je me souviens à quel point ça comptait pour lui. C'est l'un des trucs les plus importants qu'il lui soit arrivé. Je vous garantis qu'il s'en souvient encore.

"Si je n'avais pas vu cette relation entre Matt (Damon) et son père, je suis certain que j'aurais laissé gagner mon fils"

Quel âge avait-il ?
Il devait avoir 12, 13 ans. Mon fils, lui, a 11 ans et il aime jouer contre moi. Alors, j'ai été confronté à cette question que l'on se pose en tant que père. Je le laisse gagner ou pas ? Je ne veux pas être un père horrible. Je veux le soutenir. Je l'aime... Mais j'ai décidé que je n'allais pas le laisser gagner. Je lui ai dit : "Quand tu me battras - parce que tu vas me battre, ce jour arrivera -, tu l'auras mérité. Et ce sera un sentiment spectaculaire. Parce que tu auras perdu encore et encore et encore contre moi, et parce que tu vas t'entraîner et travailler jusqu'au jour où tu me battras et où tu deviendras tellement meilleur que moi que tu te demanderas comment ton père a pu gagner au basketball contre toi." C'est frustrant pour lui. Il a très envie de me battre.

Mais c'est impossible. Il est trop petit. Je mesure 1,93 m. Il est impatient. Il veut toujours qu'on joue. Un match et encore un autre et encore un autre. Mais j'ai remarqué que ce désir sert de catalyseur à sa progression. Il a travaillé son shoot à trois points. Il sait qu'il faut qu'il soit loin pour que je ne contre pas son tir. Et il est meilleur maintenant. Cela rend ses objectifs authentiques. Sinon, c'est un peu tricher. Et si je n'avais pas vu cette relation entre Matt et son père, je suis certain que je l'aurais laissé gagner. Dans le jardin ou sur un terrain dans le parc, ce moment où vous arrivez à onze points, en face-à-face, quand votre père n'en a que neuf, c'est emblématique de tellement d'autres choses. Être meilleur que son père, cet homme qui représente ce qu'un adulte doit être, ça renvoie à tellement de moments importants dans votre développement."